plusieurs heures de travail plus tard, et un rinçage très long, le tissu sèche au soleil du Sud-Ouest:
et j'en profite pour poster aussi mes essais de teinture avec la technique du tye-and-dye utilisée pour des foulards en soie "cadeaux de Noël": avec du fil de fer ou de la ficelle, des ligatures masquent une partie de la soie à la teinture et permettent de teindre un tissu avec un décor en réserve: le mieux; des pois cassés pour faire des noeuds identiques et parsemer le foulard de petits carrés blancs sur fond bleu:
Suite à une commande de teinture en bleu à l'indigo de pastel (Isatis tinctoria), je me suis lancé dans la teinture en grand...
J'ai utilisé de l'indigo de pastel acheté chez "bleu de Lectoure" et j'ai monté une cuve de plus de 200 litres grâce à un récupérateur d'eau de pluie. Le principal travail a été de chauffer les litres d'eau en dehors de la cuve et de les y transvaser car la cuve est en plastique...
L'intérêt des matelas est de la tenir au chaud pendant plusieurs heures: après une réduction de l'indigo en colorant, la cuve est enfin prête à teindre:
le liquide ammoniaqué est bien jaune et la fleurée (écume bleue) apparaît dès que le liquide est brassé et rentre en contact avec l'oxygène: le tissu de 4m50 de long a été brassé dans le bain sans contact avec l'air pendant plus de 2 heures et le résultat après derverdissage est très satisfaisant:
Il ne reste plus qu'à le laisser tremper dans un bain vinaigré pour contrer le bain trop basique de la cuve puis le rincer et le faire sécher...
J'avais présenté sur le tout premier article du blog un écheveau de soie teint en rose grâce aux ligules du chardon jaune d'Egypte appelé Carthame...ou comment transformer la fleur sèche à la mode chez les fleuristes du moment en couleur inhabituelle:
Premières étapes: enfermer les ligules dans un collant et laver, laver, laver....rincer, rincer, rincer ces ligules dans l'eau tiède. Un jus jaune s'échappe du collant. C'est un travail lent, pénible mais c'est la seule solution pour avoir du rose: éliminer les colorants jaunes fragiles.
Ensuite triturer le collant dans une solution d'eau de soude (facile grâce aux cristaux de soude St Marc....): un jus orange assez épais s'en échappe. Triturer les ligules jusqu'à en sortir tout le jus orange.
Mettre à tremper dans ce jus l'écheveau de soie préalablement mouillé. La soie se charge de jus orange...
Puis ajouter un acide (jus de citron dans la recette traditionnelle, ici vinaigre blanc):
Aussitôt des grumeaux roses apparaissent et "migrent" vers la soie: la soie vire au rose fluo instantanément...et voilà la plus belle couleur du règne végétal mais aussi une des plus fragiles...
J'ai également essayé sur d'autres fibres: si le résultat sur toile de lin ou coton est " sympathique", il est très décevant pour la laine...A couleur rare, fibre rare ! les plus beaux résultats sont sur la soie...
Voici le champ de guesde planté au cours d'un été: 300 pieds d'Isatis tinctoria plantés en Lorraine dans une terre de chenevières (anciens terrains sur lesquels on cultivait le lin et le chanvre). On voit bien que la feuille vire au violet lorsqu'elle a dépassé le stage de maturité.
Au bout de quatre récoltes de feuilles (les feuilles repoussent après chaque tonte), j'avais accumulé assez de feuilles agglomérées sous forme de compost pour produire des cocagnes. Un an après, j'ai repris mes cocagnes que j'ai transformé en agranat en relançant une fermentation avec de l'ammoniaque. Après plusieurs recettes de cuve et pas mal d'essais infructueux, j'ai réussi une mini-cuve de pastel sans utiliser de réducteur chimique. Voici la sortie du bain et la couleur obtenue sur de la mèche de laine cardée:
La laine aurait méritée plusieurs passages en cuve mais j'ai préféré rester sur le premier ton obtenu. J'ai surtout remarqué que la laine avait vraiment changé de toucher: elle est devenue plus serrée et plus rêche. Pour la travailler, il me faut la cherpir et la carder à nouveau.
Il y a quelques jours, j'ai remis en route une vieille cuve de bleu...quelques photos pour montrer le phénomène d'oxydation unique dans les mécanismes de teinture:
La surface de la cuve en chauffe avec l'écume bleue qui disparaît ensuite pour laisser place à une pellicule cuivrée comme au premier plan.
De gauche à droite: deux écheveaux teints dans un bain d'épuisement de garance, un teint au bois de brésil, et les quatre derniers (2 clairs en 2eme bain, deux foncés en 1er bain) dans un bain de baies noires cueillies cet été et mises à fermenter (recette mentionnée par Pline, utilisées comme source de pourpre par les Gaulois).
En 2005, sur les forums de reconstitution médiévale, un des sujets de discussion, parfois enflammée, était de savoir si on teignait le lin au Moyen Age...
Je reproduis ici le post que j'avais alors envoyé:
"Il semble en effet, à lire les réglements de corporation, soit des telliers(fabricants de toiles de lin ou chanvre)ou des teinturiers que la teinture du lin était très rare. Elle n'est jamais mentionnée dans ces différentes sources, par contre on fait référence au blanchiement (et non blanchissage) de ces toiles très souvent: c'est même une source de revenus pour de nombreuses villes comme celle d'Epinal, dont le blanchiement sur prés est un privilège octroyé par l'évêque de Metz depuis 1361: nul ne peut amener de la toile écrue sans la faire blanchir avant de repartir de la ville...La toile blanchie dans cette ville a une blancheur si prononcée qu'on trouve mention de vente d'"Espinalz" sur les foires allemandes, ces toiles sont offertes à tous les gens de marque reçus par la ville...Une ville dont l'économie tourne tant autour de la toile de lin (jusqu'à faire représenter les toiles blanchissant sur les prés ("gravots") sur la vue cavalière de la ville du XVIe siècle, n'aurait pas manquer dans ces réglements de corporation d'imposer des normes de qualités concernant l'art de la teinture (plantes et "drogues" proscrites par exemple car donnant une couleur de mauvaise qualité, comme c'est le cas systématiquement dans tous les réglements concernant l'art de la draperie, pour la laine).
Les différentes mentions d'achat de lin dans les comptes de cours princières montrent d'ailleurs que le lin sert uniquement à tailler les sous-vêtements (braies, chemises, cales...) ou à doubler. Dans les exemplaires archéologiques connus de lin et produits en Occident, ils sont tous pour la plupart blancs, que ce soit les toiles retrouvées dans la nécropole mérovingienne de Varangéville (54, fouilles de Salin), dans une tombe à St Germain des Prés (cat. S. Desrosiers des tissus du musée de l'hôtel de Cluny, p. 155, n°71), dans le sarcophage du comte de Toulouse de l'an mil, les différentes chemises et aubes conservées (chemise de St Louis à ND de Paris, aubes de Beckett à Sens, de St Hugo à la chartreuse de la Valsainte en suisse, ou celles de l'archevêque de Tolède Ximénez de Rada...) ainsi que toutes les doublures des chasubles brodées, ou bien la toile doublant les brigandines conservées au musée de l'hôtel de Cluny...
Vous allez me dire, pourquoi ne pas teindre le lin mais le blanchir?
eh bien, parce que c'est plus facile....Le lin, le chanvre, le coton, l'ortie...toutes les fibres végétales sont à base de cellulose et ont une structure de fibres très lisses qui ne permettent que difficilement l'"accroche" d'un colorant ou d'un mordant (produit préparant la teinture, sorte d'aimant à couleur)sur la fibre. Il faut passer par un très long mordançage avec un engallage (déposer du tanin sur la fibre qui accrochera ensuite le colorant...) alors que le blanchiement avec l'oxygène qui se dégage des prés avec la rosée, l'action des rayons du soleil et la lumière de la lune, des lessives répétées à la potasse de cendres donnent une toile immaculée, qu'on ne peut obtenir avec de la laine, même si la toison est blanche.
La règle semble donc bien être du lin blanc, alors et l'été? et bien l'été, on enlève, pour le peuple, le vêtement de dessus qui est en laine teinte lorsqu'il fait trop chaud pour travailler(regardez les enluminures des différents livres d'heures: les faucheurs de Juin et moissonneurs de Juillet sont en braies ou en chemises blanches !!!). En dehors des paysans, certes, on ne se promène pas en dessous: on porte des vêtements en drap de laine plus légers, on enlève des couches et pour les hommes c'est le moment de montrer ses doublets, on porte pour les bourgeois et la noblesse de la soie fine unie (cendal dans les textes, voire de la futaine)..
Mais à toute bonne régle, il ya des exceptions: la teinture du lin est possible pour quelques couleurs et attestée dans les textes ou dans les trouvailles archéologiques (même si encore aucun vêtement en lin teint n'a été trouvé à ma connaissance). Petit tour de la question:
A l'époque protohistorique, le lin (ou chanvre, ou ortie, bref une fibre cellulosique) pouvait être teint: un tissu en lin broché trouvé en 1890 à Irgenhausen aurait été teint à la myrtille ou au sureau en bleu-lilas (datation C14: âge du bronze, musée national de Zurich, attribution douteuse du XIXe siècle jamais vérifiée avec les moyens modernes actuels)
Cette recette semble encore valable plus tard: on en a trouvé également dans les mines de sel de Halstatt, Pline l'ancien la mentionne à propos de l'art de teinture des Gaulois, un manuscrit du VIIIe siècle (Compositiones ad tingenda musiva pelles et alia) des chanoines de Lucques en Italie mentionne l'emploi des airelles et myrtilles pour teindre. Ces recettes se retrouvent encore dans les recueils de recettes de teinture (manuscrit du XIVe s. de la B.U. d'Innsbrück, "Kunstluch" de Nüremberg du XVe s., "Allerley Maktel" imprimé à Mayence, Nüremberg et Zwickau en 1532...) On peut remarquer que cette teinture en bleu est très localisée, qu'elle ne tient pas longtemps (disparaît très vite à la lumière, vire au gris ou au violet en changeant de pH donc à la lessive...) et qu'elle semble reservée à une production domestique et non dévolue au commerce.
Quelques exemplaires de lin conservés dans nos musées sont de couleur mais ils proviennent généralement d'Orient: toile teinte à reserves (semis de rosettes blanches, scènes religieuses..) à l'indigo en Egypte (toile du Fayoum du VIIe s. (cf. Desrosiers, n° 2, p. 62), voile d'Antinoë du Louvre).
En Allemagne ou en Italie, au XIVe siècle, on commence à imprimer des toiles de lin: un exemplaire est conservé à Paris, musée de Cluny: il s'agit d'un tissu de lin en chevrons (comme le St suaire de Turin) blanc, avec un décor d'oiseaux (grues ou hérons) à longues queues entourés de végétaux imprimés en noir (charbon) à la technique de la planche. Un traité anonyme florentin de 1418-1421 mentionne cette pratique en Italie, sans doute sous l'influence du commerce avec l'Inde et du travail de la soie qui fournit les dessins. Quelques exemplaires similaires subsistent commela toile de Zittau, surtout en Allemagne et Europe du Nord. Il ne s'agit que d'impression et non de teinture. Le traité Arte della Lana compilé par un teinturier vénitien au XVe s. mentionne pour des bannières ou des grandes tentures l'utilisation de sarges pouvant être en lin et teintes avant peinture dans des teintes comme "couleur de coing", rouge, bleue ou noire. Cependant, il ne s'agit pas de linges portés, de pièces de vêtement mais de pièces destinées à être affichées de façon temporaire.
La teinture en bleu, au pastel , est attestée par la doublure d'un reliquaire du XVe s.(cf. Cardon, cat. d'expo, teintures précieuses de la Méditerranée, musée de Carcassonne) et par un ensemble de toiles de chanvre teintes en bleu pers puis peintes du XVIe s. (Storie della Passione, Gênes)
La teinture en couleur foncée (gris, noirs) est également possible techniquement avec l'emploi de noix de galles ou d'écorces (source de tannin se fixant très bien sur les fibres cellulosiques). Elle est citée dans le traité vénitien du XVe s. (bibl. mun. de Côme avec noix de galles d'Asie mineure, d'Istrie, ou des vieux bains de tannage), dans le "T'bouck van Wondre" (Flandres, 1513) et le "Plictho del'Arte de Tentori" de Rosetti, imprimé en 1548.
Enfin, on trouve une mention de futaine rouge vendue en 1410 dans la Meuse (AD 55, B 1524), elle même affirmée par les recettes de teinture au bois de brésil du "verzino" vénitien, un ouvrage du XVe siècle: pour teindre le lin en "vermeie", il faut 2 onces (50 g) de brésil par livre de toile engallée et alunée (déjà préparée) et on doit passer la toile dans un bain de cendre de lie de vin pour fixer mais l'auteur conseille de la "faire sécher à l'ombre"...on imagine le degré de tenue de cette couleur...
Toutes ces sources sont bien tardives et souvent anectotiques, limitées à la zone italienne où le degré de maîtrise de la teinture atteint des sommets à la fin du Moyen Age. Dans la réalité, il semble bien que la grande majorité des fibres teintes en villes soient toujours d'origine animale: soie ou laine. "
Depuis cet envoi, le débat n'est pas interrompu...On me cite souvent comme contre-exemple la manche de gambison conservée comme relique à Bussy-St-Martin avec de la toile teinte en marron...Et là, il suffit de relire les présentations de cette relique religieuse et textile disponible sur la toile pour constater que la manche est en ...soie teinte en marron; la toile servant à doubler ou matelasser est restée écrue...
On attend donc encore aujourd'hui un contre-exemple de lin ou de chanvre teint en Europe au cours du Moyen Age...Je ne dis pas que cela n'est pas possible (on dispose bien de recettes pour cela) mais cela n'était pas la règle générale et la teinture de fibres cellulosiques semble surtout s'effectuer dans les tons bleus et foncés (teinture au pastel ou aux tanins-fer).
Je profiterai d'un prochain article sur les différents ouvrages et sources médiévales pour présenter les livres qui m'ont servi à bâtir cet argumentaire. Pour ceux qui ne veulent pas attendre et découvrir l'histoire, ô combien riche, de l'art de la teinture: une seule référence: D. Cardon, Le monde des teintures naturelles, Paris, 2003, éditions Belin, 586 p. (ISBN: 2-7011-2678-9)